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LE SPECTRE DE LA DELOCALISATION

Les mouvements de délocalisations d’activité en Chine, en Inde ou dans les PECO, semblent s’être accéléré ces dernières années. Sinon sont-ils davantage sous le feu croisé des projecteurs de l’actualité. Dans tous les cas, la réalité du phénomène et des sinistres qu’il entraîne sur le plan social sont incontestables.

 

Face à la concurrence des PECO, dont la plupart d’entre eux sont des nouveaux entrants dans l’UE, la réponse semble évidente : une simple question de rattrapage socio-économique, qui pourrait être rapidement réglée si les 25 s’entendaient enfin pour enclencher la surmultipliée et s’engager dans la voie d’une harmonisation fiscale et sociale. Mais depuis les « non » français et néerlandais au projet de Constitution européenne, l’Europe politique est en panne. En conséquence de quoi les questions d’harmonisation risquent longtemps encore de rester un vœu pieu.

 

En revanche, la concurrence de la Chine et de l’Inde - qui formeront bientôt à elles seules une zone où vivront près du 1/3 des habitants la planète - est probablement plus inquiétante à terme. Pendant longtemps, ces pays ont conjugué faibles revenus et faible productivité. Mais la donne a progressivement changé. Les deux voisins ont réussi à découpler les coûts et la productivité, trouvant ainsi une carburation détonante et la combinaison gagnante en matière d’attractivité des investissements étrangers. La Chine n’est plus seulement l’atelier de confection mondial, mais un pays-continent qui a su se développer dans bon nombre de secteurs industriels (électronique, électroménager, automobile, spatial…) et devrait même devenir, selon la CNUCED, le premier lieu d'implantation des activités de R&D des grandes multinationales d'ici à 2009. Souvenons-nous, au passage, que la Chine est devenue en octobre 2003, le 3ème pays à mettre un homme en orbite par ses propres moyens.

Quant au voisin indien, dont l’économie est essentiellement tournée vers les services, on n’y compte plus les délocalisations de centres d’appels et de services informatiques. L’Inde est ainsi devenue un gigantesque campus, dont sortent chaque année près de 300 000 ingénieurs ; c’est 3 fois plus qu’aux États-Unis et 2 fois plus qu’en Europe. Et si l’on croit les inscriptions 2005, ils pourraient être plus de 400 000 en 2009.

 

Connaissance et innovation

 

Pour faire face au risque de concurrence sociale et aux menaces de délocalisation, l’UE a adopté en 2000 la Stratégie de Lisbonne, qui visait à « bâtir de nouveaux avantages compétitifs en développant les synergies entre les dimensions économique, sociale et environnementale et en misant tout particulièrement sur la connaissance et l’innovation ».

Le bilan à mi-parcours est inquiétant : l’UE est en retard sur ses objectifs (ndlr 3% du PIB consacrés aux dépenses de R&D) et reste à la traîne par rapport au peloton de tête, composé des Etats-Unis et du Japon. Plus grave encore, la part des dépenses de R&D dans le PIB tend à stagner dans l’UE, quand elle augmente en Chine d’environ 10% par an. A ce rythme, la Chine aura comblé son retard d’ici 4 ans.

 

Parallèlement, l'OCDE a rendu publique, en mars dernier, une étude réalisée pour le compte du Lisbon Council [ndlr think tank lancé en 2003 à Bruxelles, qui tire son nom de la stratégie de Lisbonne pour la compétitivité européenne], selon laquelle l'UE serait distancée dans la bataille de l'éducation. L’étude souligne le retard pris en particulier par la France et l'Allemagne qui « ne sont plus parmi les leaders mondiaux dans le développement du savoir et du talent », alors que la Chine et l’Inde apportent « des qualifications élevées à coût réduit ».

Son auteur, Andréas Schleicher, souligne notamment que « l'époque où l'Europe était en concurrence principalement avec des pays offrant du travail peu qualifié avec bas salaires est terminée depuis longtemps » et insiste sur le rendement économique de la dépense d'éducation, pour les individus comme pour leur pays.

 

Pour sortir l'Europe de l'ornière, Nicolas Sarkozy a proposé en février dernier, devant Angela Merkel, un mini-traité bâti à partir d’un « certain nombre de dispositions du traité constitutionnel qui ont fait l'objet d'un large consensus, à droite comme à gauche », telles que la double majorité, la présidence stable du Conseil européen et la désignation d’un ministre des affaires étrangères de l'UE.

 

Gageons que cette proposition soit entendue par les 25 et que la stratégie de Lisbonne puisse être enfin rapidement relancée. Il en va de la survie des emplois en Europe.

 

WB, Bordeaux, 11 mai 2006